« La boucle est refermée. Voici le bilan:
Olivier? Toujours aux Antilles, parle de revenir bientôt s'installer à Paris.
Adrien? Je continue de fleurir tendrement sa mémoire et de lui demander protection à travers la mort.
Luc? À jamais perdu pour moi (et pour lui-même aussi, ce qui est peut-être le plus douloureux).
Ortega? Songe à se retirer dans un monastère, après avoir épuisé les vanités de la gloire et de la l'amour. Je suis seule. Il est temps que je me charge de l'éducation de ma fille, mais sera-ce suffisant pour occuper mon coeur?
L'amère réponse?... La voici au bout de ma pioche: comme ma mère l'Afrique qui, depuis des millénaires, a été convoitée, violée par les invasions successives, mais se retrouve immuablement elle-même, comme elle je suis demeurée intacte, malgré mes tribulations. Car je la sens encore frémissante, en moi, l'ardente jeune fille, l'arbouse flamboyante que je fus à dix-huit ans.»
Taos Amrouche, Solitude ma mère, Paris, Gallimard, fonds Joelle Losfeld, 1995
Solitude, ma mère
À lire, absolument
« La fatalité qui me poursuit, je sais aujourd'hui qu'elle est le lot de tous les déracinés à qui l'on demande de faire un bond de plusieurs siècles. Ignorante, poussant au gré du souffle rude de nos montagnes, mon destin eût été celui de notre tribu, issue d'une orgueilleuse famille. Ni Racine, ni Mozart ne m'eussent manqué. C'est la civilisation qui a fait de moi cet être hybride. Pourquoi faut-il que ce flambeau qu'on se flatte de porter aux populations primitives provoque des déchirements et rende inaptes au bonheur tous ceux qui me rassemblent ? »
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